Un gène d’algue contre la cécité

(Le quotidien du médecin, 10 avril 2006)

Une nouvelle approche visant à traiter les cécités induites par la rétinite pigmentaire vient d’être testée avec succès chez la souris. Elle se fonde sur la « transformation» de neurones non photosensibles, présents dans la rétine malade, en cellules capables de remplacer les cônes et les bâtonnets qui ont été détruits.

Rendre la vue aux malades atteints de rétinite pigmentaire grâce à un gène d’algue verte, cela paraît impensable, mais c’est pourtant ce que propose une équipe de chercheurs de Detroit. Dans un modèle murin de la maladie, Bi et coll. viennent, en effet, de démontrer que l’introduction d’un gène d’algue, codant pour une protéine apparentée à la rhodopsine, permet de transformer des neurones non photosensibles de la rétine en cellules capables de détecter un signal lumineux et d’en informer le cortex via un signal électrique comparable à celui produit par les cônes et les bâtonnets.

Les maladies dégénératives de la rétine comme la rétinite pigmentaire conduisent à une perte progressive des cellules photoréceptrices, cônes et bâtonnets, nécessaires à la transduction des stimulus visuels. Des analyses histologiques réalisées chez l’animal et sur la rétine de patients décédés montrent cependant que ces pathologies épargnent une sous-population de neurones rétiniens non photosensibles.

Cette observation a conduit Bi et coll. à rechercher un moyen de « photosensibiliser » les neurones préservés dans la rétine des patients atteints de rétinite pigmentaire. Une telle stratégie thérapeutique pourrait permettre aux malades de récupérer, au moins partiellement, leurs facultés visuelles.

Un signal électrique transmis au cortex. Pour parvenir à cette prouesse thérapeutique, il est nécessaire d’obtenir l’induction de l’expression d’un système photopigmentaire capable de produire un signal électrique qui sera transmis au cortex en réponse à un stimulus visuel. La majorité des systèmes biologiques pouvant conduire à ce résultat se fonde sur l’activité de plusieurs gènes. Or il paraît difficile d’introduire et de contrôler l’expression de plusieurs gènes en même temps. Mais Bi et coll. ont bénéficié de la récente découverte d’un gène codant pour un photopigment associé à un canal ionique, le gène ChR2. Ce gène a été identifié chez l’algue verte Chlamydomonas reinhardtii. Son activité permet à elle seule d’obtenir une dépolarisation membranaire en réponse à un signal lumineux.

Les chercheurs ont cloné le gène ChR2 dans un vecteur adénoviral et ont utilisé ce vecteur pour infecter la rétine de souris souffrant d’une pathologie très similaire à la rétinite pigmentaire humaine.

Ce système de transgenèse s’est révélé très efficace : la grande majorité des neurones préservés infectés par le vecteur adénoviral exprime durablement une quantité significative de la protéine codée par ChR2. De plus, il est apparu que lorsque les cellules infectées sont soumises à un stimulus lumineux, elles produisent un signal qui est transmis jusqu’au cortex des animaux.

Bien sûr, rien ne permet pour l’instant d’affirmer que ce signal est interprété comme une information visuelle et que cette stratégie est applicable à l’homme. Cependant, ces résultats sont très encourageants.

Contrairement à toutes les autres approches jusqu’ici envisagées pour traiter la rétinite pigmentaire, la stratégie de Bi et coll. ne nécessite ni l’implantation de cellules ni celle de dispositifs électroniques. Elle réduit ainsi les risques de complications associées à des problèmes de biocompatibilité.

ELODIE BIET
Bi A et coll. Neuron du 6 avril 2006, 23-33.